L’Algérie à la recherche de son identité
Lu sur « l’Afrique Réelle »
Née en 1962 après être passée de la colonisation ottomane à la colonisation française, tiraillée entre arabité et berbérité, l’Algérie est toujours à la recherche de son identité. Au lendemain du second conflit mondial, Messali Hadj, alors leader nationaliste incontesté, considérait que l’arabisme et l’islamisme étaient les éléments constitutifs sans lesquels l’Algérie algérienne ne pourrait pas faire « coaguler » ses populations. Il fut donc postulé que l’Algérie était une composante de la nation arabe, que sa religion était l’islam et que le berbérisme était un moyen pour le colonisateur de diviser les Algériens. Après l’indépendance, comme les berbéristes affirmaient la double composante arabe et berbère du pays, le parti-Etat FLN parla de dérive « ethnique », « raciste » et « xénophobe ». En 1962, le ministre algérien de l’Education nationale déclara même que « Les Berbères sont une invention des Pères Blancs »…
Ce refus bétonné de la réalité historique et ethno-politique de l’Algérie repose sur un postulat qui est que l’islamisation aurait marqué la fin de l’histoire des Berbères, leur conversion massive il y a quatorze siècles, les ayant inscrits de façon irréversible dans l’aire culturelle de l’Islam, donc de l’arabité. Pour la critique de cette thèse on se reportera à mes livres Histoire des Berbères et Algérie, l’histoire à l’endroit
Retour sur la négation d’une réalité ethno-culturelle qui explique le profond malaise existentiel et identitaire de la société algérienne d’aujourd’hui.
En 1948, le PPA-MTLD (Parti du peuple algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), inscrivit la phrase suivante dans son appel à l’ONU : « La nation algérienne, arabe et musulmane existe depuis le VII° siècle ». Une affirmation qui provoqua la fureur de la composante kabyle du mouvement, ce qui explique pourquoi, en 1949, éclata la « crise berbériste » (Ouerdane, 1987 et 2003). Tout partit d’un vote quand le Comité directeur de la Fédération de France du PPA/MTLD, largement dominé par les berbéristes vota à une écrasante majorité une motion rejetant le postulat de l’Algérie arabe. Après ce vote, les deux camps en vinrent aux mains, les partisans de l’idéologie arabo-islamique n’ayant pas craint d’affirmer qu’avec la conquête arabo-musulmane du VIII° siècle, les Berbères étaient sortis de l’histoire. La revue Al Maghrib publia même un article dans lequel il était écrit que n’ayant pas de généalogie, les Berbères ne peuvent accéder au Paradis que s’ils se rattachent à des lignées arabes…
Mis en accusation pour régionalisme et anti-nationalisme, les cadres kabyles furent écartés de la direction du PPA/MTLD. Ce fut alors que le Kabyle Hocine Aït-Ahmed perdit la direction de l’Organisation Spéciale au profit de l’Arabe Ben Bella, cependant que certains militants kabyles furent assassinés, comme le fut Ali Rabia en 1952.
Cette guerre interne au courant nationaliste laissa des traces, l’opposition entre berbéristes et arabo-islamistes se prolongeant ainsi durant toute la guerre d’indépendance :
« (…) l’un des soucis lancinants des responsables arabes (…) aura été de marginaliser les chefs politiques kabyles : à leurs yeux (…) à peu près tous suspects de berbérisme et leur loyalisme arabe n’est pas assuré. La liquidation physique d’Abane Ramdane, puis le lent processus d’encerclement et de marginalisation de Krim Belkacem, peut-être même la mort d’Amirouche, s’inscrivent dans ce contexte de rivalité Arabes/Kabyles. Par delà leurs divergences et les conflits d’ambitions personnelles, les principaux chefs arabes se sont tous retrouvés sur la nécessité de briser l’hégémonie kabyle sur le FLN-ALN. Trente ans après les évènements, l’ancien président Ahmed ben Bella (considérait) encore le Congrès de la Soummam (1956) et l’action d’Abane Ramdane- en particulier son laïcisme- comme « entachés de berbérisme et tournant le dos à l’Islam ». Il explicite ainsi l’un des motifs qui ont amené ses pairs et ennemis politiques au sein du FLN à organiser sa liquidation physique» (Chaker, 1987 :18).
Le berbérisme ayant été évacué de la construction de l’idéologie nationaliste, l’arabo-islamisme devint la doctrine officielle du FLN, donc de l’Etat algérien. Or, comme sur le terrain, la guerre contre la France avait été essentiellement menée par des Berbères dont les chefs étaient Abane, Amirouche, Krim Belkacem ou encore Aït-Ahmed, l’aspect à la fois bancal et artificiel de ce credo d’Etat paralysa toute fusion nationale.
Après l’échec de la rébellion kabyle de 1963, écrasée sous le rouleau compresseur du FLN, et tentant de survivre sous la chape de plomb de l’arabo-islamisme, la revendication berbère fut dans un premier temps quasiment clandestine. Durant la période Boumediene, la politique d’arabisation qui fut systématique reposa sur les conclusions de la Conférence nationale sur l’arabisation qui fit totalement encadrer le pays par la langue arabe et qui nia toute existence au tamazight.
Le courant berbériste se reforma ensuite, notamment à Paris où, en 1967, fut fondée l’Académie Berbère d’Echanges et de Recherches Culturels qui se transforma, deux ans plus tard, en 1969, en Académie Berbère dont la revendication fut plus militante. En 1988, l’ouverture démocratique donna une forte impulsion à la revendication berbériste avec la création du MCB (Mouvement culturel berbère). Cependant, au même moment, Abbassi Madani et Ali Belhadj créèrent le FIS ( Front Islamique du salut) dont le programme était la création d’un Etat islamique arabe. Et comme, au mois de juin 1990, le mouvement remporta les élections municipales, afin de tenter de freiner sa montée, les autorités donnèrent des gages aux islamistes, en amplifiant encore davantage l’orientation arabo-musulmane de l’Algérie. La loi du 16 janvier 1991 renforça ainsi l’exclusivisme de la langue arabe, de fortes amendes étant prévues pour les contrevenants.
La contestation berbère reprit ensuite avec la « grève du cartable » quand, durant les années 1994-1995 les élèves kabyles boycottèrent les écoles. Ce mouvement réussit à faire plier les autorités qui créèrent le HCA (Haut Commissariat à l’Amazighité), rattaché à la Présidence, puis la langue berbère fut introduite dans le système scolaire. Mais ces mesures cosmétiques n’étaient pas à la hauteur de l’immense frustration berbère. En 1998, de très violentes émeutes suivirent l’assassinat du chanteur Matoub Lounès et, à partir de là, le climat devint insurrectionnel. Au mois d’avril 2001 la Kabylie fut même en feu à la suite de la mort de Massinissa, un lycéen abattu par la gendarmerie. Puis, le 14 juin, les Kabyles marchèrent sur Alger avant d’être très durement réprimés par la police.
Leur revendication ayant échoué sur le terrain politique, les militants berbères choisirent alors de mener un combat culturel. Ce retour aux sources leur fit déchirer le voile de la fausse histoire officielle enseignée depuis 1962. Ils découvrirent alors ce qui se murmurait, à savoir qu’ils furent les « dindons de la farce » de l’indépendance algérienne. Certains s’enhardirent, ne craignant pas d’affirmer que, dès le départ des Français, les Berbères avaient subi une nouvelle colonisation. Cette idée fut parfaitement résumée dans un article dont le titre explosif était : « Et si l’on décolonisait l’Afrique du Nord pour de bon ! » (Le Monde amazigh, n° 53, novembre 2004), ce qui signifiait qu’après avoir chassé les Français, il convenait désormais pour les Berbères d’en faire de même avec les Arabes…
Des livres furent également publiés qui montraient comment le mouvement nationaliste algérien, berbériste à ses origines, avait été détourné à leur seul profit par les arabo-islamistes. D’autres expliquaient comment les prédateurs qui dirigent l’Algérie survivaient à travers une rente mémorielle entretenue par une fausse histoire portée par une association sangsue, l’ Organisation nationale des moudjahidines (ONM), les « anciens combattants ». Or, comme le déclara l’ancien ministre Abdeslam Ali Rachidi, « tout le monde sait que 90% des anciens combattants, les moudjahidine, sont des faux » (El Watan, 12 décembre 2015). A ce sujet, j’ai démontré dans mon livre Algérie l’histoire à l’endroit que les moudjahidine furent cinq fois moins nombreux que les Algériens combattant dans les rangs de l’armée française.
Dès-lors, il ne fut plus possible de cacher comment les tenants de la ligne de l’arabo-islamisme au pouvoir à Alger avaient évincé les Berbères. Après avoir été enfouis sous forme de non-dit, les souvenirs resurgirent alors peu à peu, et avec une grande intensité comme l’a montré la polémique qui suivit la parution du livre que Saïd Sadi (2010) consacra à Amirouche Aït Hamouda. Sa thèse qui est en effet au cœur du contentieux arabo-berbère est que le colonel Amirouche Aït Hamouda, chef emblématique du maquis kabyle et de la willaya III, tué dans une embuscade, aurait été donné aux Français par ses rivaux arabes du MALG (Ministère de l’Armement et des Liaisons Générales, le service de renseignement de l’ALN), notamment par Abdelhafid Boussouf et par Houari Boumediene qui auraient ainsi écarté un dangereux concurrent. Les héritiers des comploteurs, actuellement au pouvoir en Algérie, auraient ensuite littéralement effacé sa mémoire du panthéon national algérien afin d’éviter qu’un culte patriotique soit rendu à une grande figure berbère de la guerre d’indépendance. Bernard LUGAN
Pour en savoir plus
- Abane, B., (2015) Nuages sur la révolution. Abane au cœur de la tempête. Alger. - Camps, G., (1983) « Comment la Berbérie est devenue le Maghreb arabe ». Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n°35, (1983), pp.7-24. - Chaker, S., (1987) « L’Affirmation identitaire berbère à partir de 1900. Constantes et mutations (Kabylie) ». Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, année 1987, volume 44, pp.13-34. - Chaker, S., (1989) « La voie étroite : la revendication berbère entre culture et politique ». Annuaire de l’Afrique du Nord, XXVIII, 1989, pp 281-296. - Haddadou,M-A., (2003) « L’Etat algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions ».Glottopol,n°1, janvier 2003, pp.131-138. En ligne. - Harbi,M., (1980) « Nationalisme algérien et identité berbère ». Peuples méditerranéens, 11, pp.31-37. - Lugan,B., (2012) Histoire des Berbères. Un combat identitaire plurimillénaire. Chez l’auteur. - Lugan,B.,(2016) Histoire de l’Afrique du Nord des origines à nos jours. Paris. - Lugan,B., (2017) Algérie, l’histoire à l’endroit. Chez l’auteur. - Ouerdane,A., (1987) « La crise berbériste de 1949 ». Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 1987,n°44, pp.35-47 - Ouerdane,A., (1990) La question berbère dans le mouvement national algérien. Paris. - Ouerdane, A., (2003) Les Berbères et l’arabo-islamisme en Algérie. Montréal. - Saâd, L., (2011) « Le Berbérisme, idéologie alternative à l’Islamisme ». En ligne. - Sadi,S., (2010) Amirouche : une vie, deux morts, un testament. Une histoire algérienne. Paris |
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